Egalité femmes-hommes dans les syndicats : « La parité s’arrête là où le pouvoir commence »
Un article intéressant et bien documenté publié le 29 octobre 2015 par Sans Compromis (Blog féministe de Sophie B. créé en 2014, re-diffuse l’information existante en la commentant.)
Chacun connaît le profond niveau d’inégalités qui existe parmi les salariés entre les hommes et les femmes et la lenteur des progrès en ce domaine.
Qu’en est-il au sein des organisations syndicales ? Pas seulement sous l’angle de la défense des droits des femmes en général, et des salariées en particulier, mais également sous celui de la place réelle des femmes dans les structures, dans l’accès aux responsabilités ? Enfin, un des grands problèmes du syndicalisme en France n’est-il pas aussi d’adapter son fonctionnement lui-même pour y rendre possible une véritable égalité de genre ?
On ne peut pas dire que dans son histoire, les mouvements ouvrier et syndical français aient brillé par leur progressisme concernant la place des femmes dans la famille et dans la société. Aucun n’a voulu s’intéresser à l’entrée des femmes sur le marché du travail. Ceci à cause de résistances fortes à l’intérieur du mouvement syndical, qui s’est construit sur le modèle du salariat masculin, dans les grands bastions industriels. Il a fallu attendre les années 1970 pour que la question de l’émancipation des femmes, de leurs revendications spécifiques, et donc de leur oppression particulière, soit clairement posée au sein du mouvement syndical. Les femmes travaillent en grande majorité aujourd’hui, dont beaucoup de femmes précarisées, sauf que l’activité salariale des femmes dans les syndicats est toujours faiblement (pas) prise en compte en 2015.
Il faudrait aujourd’hui, pour que l’on prenne en compte les problèmes et les inégalités spécifiques des femmes, proposer des temps de « lieux spécifiques » en plus des lieux mixtes. Il ne faut pas rester totalement à l’écart pour que nos revendications soient incluses dans les instances et dans les actions.
Un autre aspect important : ce que les femmes vivent dans la sphère domestique ne peut être dissocié de ce qu’elles vivent au travail. Parce que la vie des femmes qui travaillent est encombré de questions du genre : est-ce qu’il y a bien quelqu’un qui va aller chercher le gamin à la sortir de l’école ? est-ce qu’il y aura à manger pour ce soir ? est-ce que le rendez-vous chez le dentiste a été pris ? Si le syndicalisme ne tient pas compte du quotidien des femmes hors de l’entreprise, il passe à côté du problème. Car elles n’ont pas toutes un mari féministe qui partage les initiatives et les tâches quotidiennes, voire un conjoint tout court.
Les syndicats doivent donc reconnaître l’oppression des femmes dans sa globalité et la prendre en compte aussi bien dans le fonctionnement des instances (horaires/garde d’enfants..) que dans l’activité syndicale, pour maintenir un lien entre le monde du travail et la situation concrète des femmes dans la vie quotidienne.
Ce n’est qu’avec une telle configuration progressiste des syndicats, qu’on pourra faire évoluer la forme en s’adaptant à une plus grande parité. Et peut être aussi, le fond des revendications qui doivent être pensées en tenant compte du genre, puisque les femmes ne travaillent ni dans les mêmes conditions salariales, ni dans les mêmes conditions égalitaires, ni malheureusement, dans le même nombre de secteurs professionnels. Et ce, malgré quelques hommes conciliants et quelques lois égalitaires, qui ont bien du mal à dépasser la théorie.
Depuis le mois d’août, la loi relative au dialogue social et à l’emploi impose, pour les élections professionnelles (qui élisent les délégués du personnel, les représentants syndicaux, les membres du CHSCT…), des listes syndicales alternant les candidats de chaque sexe. Reste que, « plus on monte dans la hiérarchie, moins les instances [représentatives] sont féminisées ». C’est la conclusion du dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur « Les forces vives au féminin » qui, reprenant la phrase de la féministe Françoise Héritier, assure : « La parité s’arrête là où le pouvoir commence. »
Les femmes au secours du syndicalisme
La Confédération européenne des syndicats (CES) mesure chaque année depuis 2008 les tendances de l’affiliation féminine dans les confédérations syndicales nationales.
En se basant sur les 40 confédérations pour lesquelles elle dispose de chiffres pour 2013 et 2014, l’enquête constate que l’augmentation du nombre d’affiliées permet de limiter la diminution du taux de syndicalisation général en Europe :
« Parmi les 22 confédérations qui font état d’une baisse de leurs effectifs totaux, 12 ont enregistré une augmentation du nombre de leurs membres féminins. 10 autres ont enregistré une baisse, mais dans 4 d’entre elles l’affiliation féminine était plus élevée en dépit de cette baisse globale, et chez 4 autres, le pourcentage des femmes est inchangé. »
Pour les sept dernières années, la CES dispose des données de 24 confédérations, données qui confirment une tendance longue à l’augmentation du nombre de membres féminins en termes bruts (487 965 personnes), contre une diminution du nombre total de membres (-496 813). Une tendance qui se vérifie dans la proportion d’hommes et de femmes au sein des syndicats.
Peu de postes à responsabilités au féminin
Malgré un nombre de militantes et bénévoles en augmentation, et une part de femmes syndiquées qui tend à se rapprocher de leur poids sur le marché du travail, la participation des femmes aux exécutifs syndicaux ne progresse que très lentement. Et le nombre de dirigeantes reste en retrait par rapport à celui des dirigeants.
« Il apparaît qu’au fil des années, rares ont été les cas où l’augmentation du nombre de femmes affiliées s’est accompagnée d’une augmentation parallèle du nombre des femmes au sein des instances dirigeantes des syndicats ou de femmes occupant des postes à responsabilités au sein des confédérations et/ou des fédérations syndicales européennes », estime Jane Pillinger, une chercheuse irlandaise, dans un guide pratique sur la diversité destiné aux syndicats.
Les organisations ayant porté le plus de responsables féminines à leur tête sont celles des pays scandinaves (Suède et Norvège). Par ailleurs, seules deux confédérations ont un organe de décision où les femmes sont majoritaires : l’Organisation centrale des travailleurs intellectuels de Suède (SACO), dont le conseil d’administration est composé de 55 % de femmes, et l’Association des syndicats d’Estonie (EAKL) dont le comité exécutif comporte 52 % de femmes et son comité de direction, 42 %. Dans ce dernier, néanmoins, aucun des postes les plus importants n’est occupé par une femme.
Quant aux postes ayant une dimension de « leadership » politique, ils ne sont occupés qu’à 10 % par des femmes en Europe.
La France à la traîne
Si, sur l’ensemble des salariées européennes, le CES évalue à un peu plus de 44 % en 2014 la part des femmes syndiquées, le chiffre tombe à 7,5 % en France.
En 2014, il y avait 37 % de femmes parmi les adhérents de la CGT, 47 % à la CFDT, 45 % à FO, 42 % à la CFTC, 29 % à la CFE-CGC et 52 % à l’Unsa. Mais seule Nicole Notat (CFDT) a accédé à la tête de l’une des principales centrales syndicales.
La CGT est la seule des grandes confédérations syndicales à avoir mis en œuvre une Charte de l’égalité hommes-femmes qui fixe des règles précises concernant notamment la parité au sein de ses instances dirigeantes (bureau et commission exécutive).
La CFDT a commencé à exiger que 30 % des membres du bureau national soient des femmes, ce qui lui a permis de passer de 13 femmes (sur 38 membres) en 2007 à 16 aujourd’hui. En parallèle, depuis le dernier congrès, les femmes représentent la moitié de la commission exécutive, composée de 10 membres.
« Cependant, si le volontarisme de ces deux confédérations a permis de faire avancer rapidement l’égalité d’accès des femmes aux instances confédérales, le cumul des mandats dans le temps, qui concerne majoritairement les hommes, continue de leur donner un avantage en termes d’influence », regrette la rapporteuse de l’enquête, Claire Guichet, membre du CESE et candidate EELV aux élections régionales en Ile-de-France.
Bastions masculins
Et les syndicats patronaux ne font pas mieux : en 2015, le conseil exécutif du Medef compte 17 % de femmes, le conseil national de l’Union professionnelle artisanale (UPA) 19 % et le bureau national de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) 16 %. En revanche, la nouvelle équipe dirigeante de la CGPME en compte 36 %.
En outre, dans les organisations patronales, il y a aussi une division sexuée du travail de la représentation. Il existe plus de 70 000 mandats à pourvoir dans plus de 500 organisations différentes : les prud’hommes, les mandats sociaux, ceux liés à l’emploi ou à l’apprentissage sont les plus confiés aux femmes tandis que les mandats économiques, notamment dans les chambres consulaires, ou plus stratégiques comme le 1 % logement, sont des bastions masculins.
Il s’agit d’un choix politique de la part des dirigeants actuels, insiste le CESE, puisque « l’engagement militant constitue souvent un marchepied vers la prise de responsabilités dans d’autres domaines, notamment politiques et économiques ».